• Chapter IV

                            IV

    « Je pense que vous l'avez remarqué : je suis un imbécile. Néanmoins, je vous met au défi de trouver un imbécile plus chanceux que moi ! »

     Un homme parcourait le chemin qu'avaient emprunté trois jours plutôt Sofia d'Alient et ses compagnons.
    Cet homme était grand, fin, et portait sur la tête un vaste chapeau de sorcier de cuir beige qui cachait ses traits. Vêtu d'un grand manteau de voyage blanc, un bâton de marche à la main, un grand arc d'orme et d'if sculpté serrait sa poitrine. Il semblait léger, n'avait ni sac, ni monture, et avançait lestement. On ne se rendait absolument pas compte que ses jambes avaient des kilomètres derrières elles. Il avait une affaire d'honneur qu'il devait régler avec Enteraz le Maudit. Une histoire de sang et de larmes les liait à ses dires. Tous s'accorderaient à dire que cet homme était un chasseur qui allait tuer le Rôdeur. Seuls trois mortels connaissaient ses réelles intentions. Syldaïan de Naas courait après Enteraz le Maudit, et c'était tout ce qui importait.

    -Que devrai-je faire de vous ?
    Enteraz fit son sourire habituel à son interlocutrice. Celui qui voulait dire « bon, quand est-ce qu'on se bat ? »
    -Et bien vous pourriez commencer par me détacher...
    Une énorme claque dans la nuque le fit taire. Le Rôdeur lança au barbare un regard de haine.
    - Non, je crois que je vais vous laisser vos liens, et vous livrer à la justice de la ville où nous nous rendons.
    -Et vous allez où ? Demanda « innocemment » Enteraz.
    - A Izzï.
    Le Rôdeur réprima un sourire encore plus grand. Il fit de son mieux pour faire semblant d'être effrayé.
    - Si vous allez là-bas...
    Tandis qu'Enteraz se battait contre son fou-rire, Sofia ramassa la longue épée à deux mains du Rôdeur, encore dans son fourreau, et la dégaina.
    C'était une lame parfaite, pure, sans fioritures, avec une poignée de cuir noir, et une garde en acier trempé. Une arme étudiée pour le combat au sol malgré sa longueur.
    - Où avez vous volé ça ? Demanda la magicienne en regardant la lame.
    Enteraz tenta de se défaire de ses liens. Vaincu par des morceaux de ficelle, il soupira.
    - Je l'ai pas volé, on me l'a donné.
    - C'est bizarre, je ne vous crois pas. Qui vous l'aurait donné ?
    Enteraz sourit.
    - Nan, c'est bon, de toutes façons vous ne me croiriez pas...
    Soudain il fronça les sourcils et un frisson parcourut son échine. Il tourna la tête, comme pour apercevoir un ennemi. On aurait dit un animal qui devenait anxieux.
    C'était le but du jeu. Fondre sur sa proie sans faire de bruit.

    L'homme le plus important de toute l'Egotie après les cinq Ducs de la cité d'argent et la reine d'Izzï. Son nom était Dolphian le Rouge, maître de la Guilde Écarlate, mage d'une puissance inouïe, détenteur du secret des huit arcanes, et accessoirement le frère aîné d'Enteraz. Étaient à son service les sorciers les plus puissants de tout royaumes, et l'assassin le plus efficace qui ait jamais foulé le sol d'Aera. Il avait tout pour être heureux. Enfin presque. Dolphian était en fait psychotique. La folie habitait son esprit puis son plus jeune age. Il a toujours eu une fixation sur son frère, et depuis qu'il a eu accès à la puissance de la magie, une soif inextinguible de pouvoir. Une soif telle que la vie n'en avait plus d'importance. Mais il s'en accommodait. Un duel à mort semblait l'opposer à son frère, sur le grand échiquier qu'étaient leurs vies. Dolphian avait toujours eu l'avantage, mais achever son frère semblait au-dessus de ses forces. S'il l'avait voulut, Dolphian aurait pu détruire Enteraz depuis longtemps. Néanmoins, il n'avait jamais eut la volonté d'en finir. Et il faut dire que son frère était une véritable anguille !

    -Allez, avance !
    Sofia avait décidé que Enteraz allait marcher avec eux, mais toujours attaché. Du coup, il traînait la patte, ce qui énervait le grand barbare, qui devait traîner le Rôdeur.
    - Je te préviens, si tu ne marches pas correctement je vais te traîner !
    - Et bien vas-y...
    Hortegar tira un grand coup sur la corde, faisant tituber Enteraz. Néanmoins le Rôdeur se maintint debout. Le voyage risquait d'être long...

    Finalement, la petite troupe fit un campement pour la nuit, alluma un feu, et attacha Enteraz à un arbre. Ils mangèrent, et tout le monde partit se coucher, sauf Sofia qui était de garde. Celle-ci rêvassait auprès du feu, entendant à peine les supplications du Rôdeur, qui semble-t-il, n'aimait pas l'arbre auquel on l'avait attaché. La lisière de forêt où le groupe s'était installé était assez dégagée pour voir arriver un éventuel inconnu. Bref, tout était calme.
    La magicienne luttait un peu pour rester éveillée. Enteraz s'était endormi contre son arbre, et Sofia le regardait. C'était un homme vraiment bizarre. Ses cheveux étaient noirs, épais et bouclés, comme ceux d'un petit garçon. Pourtant son visage démentait cette impression. Le nez cassé en un angle esthétique, il avait dû avoir un visage plutôt quelconque jusqu'à ce qu'on le lui brise. Une toute petite cicatrice sur l'arête du nez, juste à coté de l'œil droit, témoignait d'un passé tumultueux ou d'une porte de placard récalcitrante. Il avait plus un visage de bagarreur qu'un visage d'enfant. Il n'était d'ailleurs pas laid, même s'il ne correspondait pas aux canons de beauté. Lorsque qu'ils étaient ouverts, ses yeux étaient d'un noir profond, et donnaient l'impression de voler sur les choses plus que de les regarder. Ses sourires étaient enchanteurs, comme des sourires de poète. Quand il marchait, on dirait un grand animal, un loup ou un félin, qui parcourait ses terres. Sofia en pinçait un peu pour lui. Si on le lui avait fait remarquer, elle aurait probablement réduit son interlocuteur en bouillie.

    Enteraz se réveilla une demi-heure plus tard, à cause d'une branche basse qui le gênait dans le dos. Quelle idée de l'avoir attaché à un Hromden aussi !
    Un Hromden est un arbre un peu spécial, car il est rejeté d'une forêt ou d‘un bosquet, et il en devient aigri. Peu à peu, il se met à haïr les être vivants, et quiconque pouvant entendre le chant des arbres doit supporter ses injures durant tout le temps qu'il se trouve près de lui.

    Un Rôdeur peut entendre le chant des arbres. Et Enteraz est donc attaché à un Hromden, et se fait traiter de tous les noms depuis qu'il y est.
    Décidément, je suis pas dans un bon jour aujourd'hui.
    -Qu'est ce que vous marmonnez ? Demanda Sofia.
    Enteraz soupira. Voilà qu'elle s'y mettait maintenant.
    - Rien, Rien.
    - Je vous entends vous savez. Elle sourit. Malgré le feu Enteraz arrivait à voir son visage, et elle était tout sourire. Mais elle ne donnait pas l'impression de se moquer de lui. Au contraire.
    - Je parle à un arbre, grommela le Rôdeur.
    Elle se leva.
    - Quoi ?
    Elle s'approcha d'Enteraz, gardant son sourire. Et Enteraz eut une intuition. Un genre de prémonition. Elle disait : « si tu tombes amoureux d'elle, tu vas avoir les pires emmerdes de ta vie ». Et ce genre de truc ne trompe jamais. Mais Enteraz n'est pas du genre intuitif. Il observa la jolie magicienne aux cheveux châtains et aux yeux noisettes s'approcher de lui.
    - Je parle à un arbre, répéta Enteraz.
    Elle gloussa.
    -Ah bon, vous parlez aux arbres ?
    -Je peux pas leur parler dans leur langue, mais je la comprends. Et l'arbre auquel vous avez eu la bonté de m'attacher est un petit peu violent...
    Comme pour illustrer les propos du Rôdeur, une branche s'agita sous l'effet du vent. Sauf qu'il n'y avait pas de vent.
    - Peut-être qu'il vous en veut ? Demanda Sofia.
    - Ce ne serait pas logique.
    Ils restèrent quelques secondes à se regarder à la lueur du feu. Enteraz frissonna. Un panache de vapeur commençait à sortir de sa bouche, et pourtant, il ne faisait pas froid.
    -Merde, pas maintenant.
    -Que se passe-t-il ? Demanda la magicienne, sans se débarrasser de son sourire.
    Enteraz se mit à trembler.
    -Vous... savez com...ment on m'...appelle ? Bégaya le Rôdeur.
    Elle chercha dans sa mémoire.
    -Enteraz le Maudit...
    Son si joli sourire disparut.
    -Allez.. vous en... SINON VOUS SAUREZ POURQUOI !
    Le Rôdeur sembla se tasser sur lui -même. Ses habits d'étoffes vertes et brunes furent remplacés par magie en un grand manteau noir. Le corps d'Enteraz se mit à émettre de l'énergie magique. Un énergie brute, se la magie sous sa forme la plus pure.
    - Je savais que j'aurais du chasser, souffla Enteraz avant que ses yeux ne changent de couleur.

    Syldaïan, à quelques kilomètres de là, ressentit aussi l'énergie libérée par le changement d'Enteraz. Il avait assisté à ce phénomène sept fois, et en connaissait les conséquences. Enteraz n'avait pas fait couler de sang depuis trois jours.
    - Et merde, tu n'est qu'un imbécile !


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